Archéologie de l'architecture, de l'enfance, de l'histoire, du corps, des temps
Appartement de l'artiste, retournement
Appartement de l'artiste, vitrification
Les "appartements de l'artiste"
Appartement de l'artiste, déposition, 1992.
Bois, peinture blanche, 450 / 550 cm. BonnerKunstverein, Bonn.
Appartement de l'artiste, 1996-2000.
Bois, encre de Chine, graphite, 450 / 550 cm.
Finalement il est rare que l'on choisisse quelque chose, peut-être ne choisit-on qu'après, qu'une fois que c'est là et que l'on doit faire avec; le destin alors prend la forme de la liberté.
On ne peut pas dire que l'on choisit un appartement quand on le loue, on le choisit parmi la dizaine d'autres que la patience nous aura permis de voir - supporter l'attente dans les agences immobilières, l'humiliation latente devant des feuilles de salaires visiblement ridicules, comme si la richesse était le lot de tout un chacun. Donc il faut choisir. ...Et finalement on se dit que c'est un bel appartement, qu'on a eu de la chance, qu'il est ancien, que dans ce vieux lit il reste peut-être quelque chose d'une humanité passée.
Pourtant la pièce restera longtemps vide ou presque, peut-être à défaut de meubles, peut-être aussi par une conscience souterraine qu'il ne faut pour l'instant rien ajouter, que le décor est déjà là, prêt aux mutations les plus aléatoires, qu'il va s'agir maintenant d'un travail de montage.
Cette référence au cinéma peut étonner dans un tel contexte où il est plutôt question d'architecture ; pourtant elle a été chez moi, du moins en ai-je cette conscience aujourd'hui, à l'origine des pièces titrées Appartement de l'artiste. La transformation initiale de l'appartement, sa vitrification, a permis l'apparition de la lumière, préalable nécessaire dans toute l'histoire de l'art occidental à la naissance de l'image: la lumière, c'était sa mise en images. Dès ce jour-là, les images étant devant mes yeux, il a été question de montage, croisant les questions de structure et de représentation.
Cette structure répétitive de cadres moulurés dont la partie interne recouverte de verre réfléchissait les variations de la lumière venant de l'extérieur devenait un décor en lumière naturelle, un décor dont le seul acteur était la lumière.
Appartement de l'artiste, empreinte gravé sur verre, 1989. verre clair, spots HMI, 350/450/550, (collection Frac Aquitaine). Vue de l'installation au CapcMusée d'art contemporain de Bordeaux.
La reconstitution en verre gravé au capcMusée de Bordeaux des deux pans de murs de cette pièce en lumière du jour artificielle en une sorte de "nuit américaine"-, le travail de coupe et d'ouverture de cet espace fermé, la mise hors-champ des deux autres murs, l'aveuglement par le sablage, la disparition des images se référant à une réalité extérieure, tous ces éléments ont renforcé la théâtralité de cet espace.
Sa limitation à deux panneaux d'angle l'a vidé de toute vie, supprimant le lieu. c'est-à dire ce sur quoi on marche, à tel point qu'on pouvait se demander la nature de l'objet exposé: ce n'était plus de l'architecture puisqu'il n'y avait plus de lieu, peut-être un décor mais où étaient les acteurs et quelle pièce devaient-ils jouer? En fait il s'agissait d'une chute, d'un fragment d'espace immobile. J'avais réduit "couper-coller. deux termes très importants dans la pratique du montage, à un seul: "couper".
Une image exposée dans sa solitude, mais c'était le seul moyen que j'avais trouvé pour que cela reste un espace, que cela ne devienne pas du temps, un temps par trop narratif. celui de la biographie.
Deux pans de murs comme deux photogrammes suspendus dans une lumière trop blanche. Le lieu initial était devenu espace.
Appartement de l'artiste, panoramique en marmorite noire, 1990, marmorite noire, platre, 350/2050 cm, vue de l'installation à Halle Sud, Genève.
Cette transformation allait s'accentuer avec la présentation à Halle Sud à Genève des quatre murs de cette pièce mis bout à bout sur une seule paroi, en panoramique. Format du cinémascope en couleur, du cinéma des grands espaces, des tournages en décor naturel. ...L'utilisation de la marmorite noire à la place du verre clair employé dans les deux premières étapes de ce scénario travaillait le passage au négatif, au sens photographique: un lieu qui, s'exposant, s'ouvrant au sens le plus littéral possible, devenait dans le même mouvement de moins en moins directement lisible comme lieu. Le contraste très fort entre le blanc du mur et le noir réfléchissant du verre ainsi que la planéité murale de cette présentation amenaient au premier plan l'idée de structure, de répétition, de géométrisation, de fragmentation. Des éclats d'images. Le format panoramique me permettait de créer des "angles de vues", il était encore une fois mais pour une autre raison impossible de tout voir "d'un seul coup d'œil". La lumière ne s'organisant pas en fonction d'un espace perspectif réaliste mais au contraire redécoupant l'espace, le mettant en panoramique jouait le rôle du grand angle associé à une très grande profondeur de champ que l'on trouve dans Citizen Kane d'Orson Welles: apparemment on peut tout voir, sauf le lieu où l'on-est.
Ce travail sur la coupe comme constitution d'un hors-champ ("couper-cacher") s'est poursuivi lors" de la présentation de L'appartement de l'artiste dans les jardins de la Villa Médicis à Rome. Le retournement des quatre murs de la pièce vers l'extérieur et leur clôture sur eux-mêmes ne laissaient découvrir que deux parois, laissant toujours hors-champ les deux autres.
L'espace se refermant ne redevenait pas lieu, nous projetant même hors du lieu, présent mais invisible, mystérieusement enfermé entre quatre murs dont les portes et fenêtres ne s'ouvraient que sur le paysage extérieur, à la manière de la forteresse des Trois lumières de Fritz Lang. Pourtant ici nulle opacité, on retrouvait la mouvance de la lumière dans les arbres et les buissons, comme ralentie dans leur réflexion sur les panneaux de marmorite noire.
Le montage en boucle, alternant champ et contrechamp (une paroi seule ou deux parois en angle visibles, les autres présentes mais cachées), unifié par un fond, une "transparence" (le paysage extérieur réfléchi), la coprésence du paysage en positif et en négatif, d'un espace ouvert et d'un espace clos, en multipliant les angles de vue permettait l'oubli du hors-champ, cet espace de terre invisible de quatre mètre cinquante sur cinq mètre cinquante au centre des quatre parois, le lieu.
Le rabattement intérieur des quatre parois sur la surface au sol de la pièce va constituer la dernière étape de ce travail du possible qu'est le montage. Ce principe va être à l'origine de deux pièces. La première, présentée au BonnerKunstverein à Bonn puis à Rouen, ne conservait que les éléments en bois structurel des boiseries, lignes au sol s'enchevêtranf pour constituer un dédale plus près des circuits imprimés que d'un quelconque espace architectural. Le verre, la lumière réfléchie ayant disparu, il ne restait que des éclats de structure, affirmation ornementalisée (proche même en ce sens de la méthode de Vertov dans Lhomme à la caméra) du montage comme forme. Coupée, collée, pliée, évidée, rabattue au sol, la pièce devenait une image en filaire, physiquement présente mais ne renvoyant plus que de manière très virtuelle à un quelconque référent. Il n'y était plus question de lieu ni même d'espace. réel, réfléchi ou projeté mais de méthode. une méthode de l'oubli. oubli progressif d'un référent, d'un lieu, d'une place.
La seconde, présentée ultérieurement à la Galerie Sparta à Chagny, était constituée de neuf dalles de verre clair jointes qui reconstituaient la surface au sol initiale. la division en neuf éléments provenant de l'intersection des quatre parois après rabattement. Ces éléments étant posés à même le sol, on pouvait seulement distinguer, de manière peu perceptible, gravé sur la face interne du verre. le dessin né du rabattement des quatre parois. Les contours dessinés des cadres des boiseries s'ouvraient maintenant sur le sol en béton brut de l'espace d'exposition. espace de pure réflection-réflexion. La lumière restait seule, comme étouffée entre le sol et les dalles de verre dans un ensevelissement progressif, ce qui est peut-être aujourd'hui le devenir de toute image, dont le montage, dès son apparition, a accéléré le processus d'érosion. Paradoxe d'une liberté qui ne peut que détruire progressivement son lieu.
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