Archéologie de l'architecture, de l'enfance, de l'histoire, du corps, des temps
Native drawings - Mona 2 Cam 5
"Native" - film de Martine Convert
"Mona dans l'espace" par Michel Gauthier
"L'empreinte mystérieuse" par Michel Menu
Thématiques - Transformation - Ornement - Dessin mural
Au début, joie fascinée devant la matière infiniment malléable, ouverte, joie de la répétition et de l'inachèvement.
Devant les enfants, les personnes civilisées que nous sommes sont en apparence face à un en deçà du transmissible. Il reste la puissance de l'affect, l'intime conviction que quelque chose nous relie à eux. Non pas une origine ou une filiation, quelque chose qui n'est de l'ordre ni du chronologique ni du sang, mais du lien, ce lien qui unit Schéhérazade et le roi Schahriar, un lien de croyance: croire à une histoire, à Mille et une histoires pour éloigner la vengeance et inventer une destinée.
Non pas un émerveillement essentialiste devant la "pureté" de l'enfance mais l'écho d'une parole autre qui vient vers nous et nous soumet à la question politique de l'avenir de notre communauté dans ces temps d'horreur, de massacres, qu'ils soient archaïques ou hypersophistiqués.
Et puis vient le bruit nerveux du trait sur la feuille, un trait qui choisit sa vie, une vie loin de toute pensée, de toute logique. La main d'enfant virevolte et dépose un sillage arc-en-ciel sur la feuille de papier. Respiration du dessin, de la couleur, du son de la voix dans le visage. Babillage multicolore, entrelacs des traits de couleurs et des sons qui aiment à raconter des "histoires fausses", des histoires sans queue ni tête. Autant d'histoires que de couleurs, que de traits, que de feuilles de papier dans une multiplication ne connaissant que la dépense.
Un entrelacs d'histoires dans lequel la place essentielle est accordée à l'énonciation, à la matière des paroles. Un entrelacs dans lequel les traits dansants de couleurs vives, intenses, atteignent une saturation spatiale et chromatique propres à exprimer, au-delà de toute figuration, l'énergie d'un être, à en constituer la trace, lien indiciel, physique avec le réel, un réel jubilatoire.
Happé par la vitesse de la main semblant obéir à une logique inconnue, mais suivant son fil sans hésitation, sans remords, j'ai filmé, fasciné, la danse de ces serpents de couleur comme en apesanteur. Mais, brutalement, le trait s'arrête, "choisit sa mort" et l'enfant regarde ailleurs, ferme le cahier, et l'on entend sa ritournelle dans l'escalier. Devant moi se trouvent des feuilles de papier froissées, parfois roulées en boule informe, un en deçà de tout geste ou genre artistique.
Il m'a fallu "faire le détour" pour continuer à rêver devant ces Mille et un dessins, un détour en m'involuant dans la méthode enfantine elle-même. Il ne s'agissait pas de faire la genèse de ces tracés, d'étudier scientifiquement le dessin d'enfants en bas âge ou leur psychologie mais de plonger dans leur matière, leur rythme, de retrouver une méthode de l'inachèvement, de la dépense.
Mon attention a été attirée instantanément, comme s'il s'agissait bien de raconter une histoire, par cette association chez l'enfant du tracé et du son, par l'inscription sur le plan bi-dimensionnel de la feuille des mouvements, des gestes rythmés par la scansion répétitive et maladroite de mots ou de sons. Tout cela produisait l'apparition d'une figure instable, variable des tracés, la feuille de papier devenant le lieu d'inscription des mouvements successifs du corps dans l'espace. Alternance de tourbillons, d'arrêts brutaux, d'éclairs, de ralentissements, de pauses semblables au mouvement d'une langue dans une bouche.
Patrice Vermeille (infographie), Katia Jacquel (Edit box, Flame), Pascal Convert (test sur verre, Tokio)
Pour retrouver cette vitalité dans le dessin achevé il me fallait penser ce processus de réalisation, sa nature contradictoire de traces indicielles mobiles. Et si ces tracés étaient d'abord la mémoire du temps, temps de leur exécution mais aussi de "histoire orale qu'ils ont permis de rêver? La feuille n'était donc pas un espace plan mais un volume, un intérieur sans frontière visible. Et il fallait penser en volume. Un volume qui permette l'appréhension du mouvement de chaque tracé, de sa vitesse d'inscription sur le papier, de son ordre d'apparition, un volume qui permette l'écriture d'un geste dans l'espace-temps. Un volume qui permette la découverte de chaque trait dans le temps de son tourbillon spatial.
Cette étape du projet a sollicité une mise en oeuvre informatique et des collaborations très importantes sans lesquelles ce travail infini n'aurait pu aboutir. Le travail en équipe, et la sophistication technique, très fréquents dans ma pratique, m'ont permis la mise à distance nécessaire au "montage" d'une vie propre des dessins. Une vie loin de ce que j'avais ressenti en regardant dessiner l'enfant, mais conservant cette immédiate perfection formelle, sans remords, sans retouche, perfection qui peut amener un sentiment "d'inquiétante étrangeté", celui qui nous saisit parfois devant notre propre enfant. Et par la multiplication infinie des points de vue, j'avais sinon conservé du moins traduit cette dépense, cette frénésie qui l'amène à la surcharge, à l'abandon, au rejet, à la multiplication et je me trouvais comme lui devant des dizaines, des centaines voire des milliers de feuilles de papier, virtuelles cette fois, sans valeur aucune considérées une à une, tant il est vrai qU'il faut Mille et une nuits, une infinité de nuits, pour apprendre à aimer.
Exemple de trait segmenté en trois parties - Saisie des graphes dans un modeleur - courbes de vitesse
Mise à l'échelle sur des plans orthogonaux - Extrusion et interfaçage - Résultat observé sous différents angles
Choix de la perspective - Proportions définitives -
Dans le cadre du projet "Art et Architecture" réalisé par Fumio Nanjo pour la Obayashi Corporation à Tokyo, j'ai été invité à concevoir une pièce à partir de deux murs de verre de grandes dimensions devant servir de cloisons de séparation dans un espace d'accueil du public. Chacun de ces murs était feuilleté en trois panneaux de verre successifs. Pour ce premier projet j'ai conservé la représentation tridimensionnelle des tracés issue des images de synthèse. Le verre, sa transparence, sa profondeur, son feuilletage permettait cette inscription inframince du volume temporel. Le traitement artisanal de la couleur, la fluidité des transitions colorées, (la transparence diffuse du verre lie dernier plan étant entièrement sablé) permettaient la création d'une image suspendue entre deux et trois dimensions. Vision de rubans de couleur saisis dans leur envol.
Native drawings, 1997-98. Peinture sur verre, 221/610cm chaque paroi. Obayashi Corporation Head Office Art Project.
Native drawings, 1997-98. Détails.
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