pascalconvert

2021

Ceux de 14

PROJET POUR LE DOMAINE DE CHAUMONT SUR LOIRE

« Souches (..). Blocs hirsutes, blocs non calmes ici-bas chu[s] d’un désastre obscur (1)»

En marchant dans la forêt des Hauts-de-Meuse, dans le secteur des Éparges et de la Tranchée de Calonne dans les champs et les bois, là où durant l’automne 1914 le sous-lieutenant Maurice Genevoix, âgé alors de 24 ans, a combattu, on ramasse encore des vestiges des combats, canons de fusil tordus, casques percés, balles intactes, culots d’obus (2). De ce paysage cruel Maurice Genevoix s’est d’abord souvenu « des arbres mutilés [qui] achèvent d'y mourir ». « Cela met longtemps à mourir, un arbre (3) » écrira-t’-il plus tard de sa seule main valide (4). Il connaissait « cette contraction de la chair pâle, cet affreux spasme, rythmique et profond (5) » qui inscrit ses lignes dans la chair humaine comme dans les plis des souches d’arbres, leur donnant l’apparence de moignons monstrueux. Aujourd’hui encore en 2019, dans les forêts de la Meuse qui ont connu les combats de 14-18 on bute contre des souches « qui crèvent le sol (6) ».

L’humidité et la mousse les recouvrent d’une étrange douceur mais ce sont les mêmes que celles contre lesquelles ceux de 14-18 ont buté, avançant, « pied à pied, mort à mort (7) ». Durant les combats les soldats ont parfois trouvé un abri salvateur sous leurs formes hérissées. « Au fond du trou brillent des douilles de cartouches. L'écorce du hêtre s'étoile de plaies profondes, où la sève a rougi ; et les feuilles mouillées sont brunes, comme des taches (…) tous les arbres me montrent leurs blessures, leur chair poignardée par les balles, lacérée par les éclats d'obus (8)».

Blessé aux alentours des Eparges, à la tranchée de Calonne, là où trois balles l’ont atteint le 25 avril 1915, Maurice Genevoix, malgré les hurlements de douleur dans paysage de souffrance est resté proche de la nature et des animaux sauvages. Ils se sont éloignés des fusillades des combats mais il les sent présent dans le vent lointain.

Qu’une souche dont les pointes évoquent encore le sifflement lointain des balles et dont les rides gardent le souvenir des éclats d’obus qui ont écrit les lignes du destin de nombreux camarades de combat...

Qu’une souche, grande tâche de lumière sombre dont l’opacité laiteuse sauve la lumière des sous-bois, conserve le souvenir de la mousse qui la recouvrait et de « l'ombre chaude (…) exacerbée par le soleil » du bois de Septsarges...

Qu’une souche de Verdun accompagne « Ceux de 14 » dans leur sommeil : « Il tape, le soleil ! Je me suis accoté contre un arbre, et me déplace à mesure que l'ombre tourne. Pardot, le sous-lieutenant de la 8ème, est vautré à côté de moi. Il écrit au crayon une longue lettre à sa jeune femme ; et il me parle d'elle, de sa petite fille qui a cinq mois. Je l'écoute, mais n'entends pas toujours ce qu'il me dit : sa voix me parvient comme un ronron monotone, que je perçois vaguement encore, scandé par les battements du sang à mes tempes et au bout de mes doigts. Je m'endors. (9) »


(1) Stéphane Mallarmé « Le tombeau d’Edgar Poe » (1876) cité par Georges Didi-Huberman in La demeure, la souche, apparentements de l’artiste, éd.de Minuit, 1999.

(2) Philippe Dagen in Eloge des aérolithes, Pascal Convert, Lamento, éd. Musée d’art moderne Grand Duc Jean. Luxembourg.

(3) Maurice Genevoix. Ceux de 14.éd.Folio.

(4) Gravement blessé au bras et en avril 1915 à Rupt-en-Woëvre près de la colline des Éparges, Maurice Genevoix a perdu l'usage de sa main gauche.

(5) Maurice Genevoix. Ceux de 14.

(6) Ibid.

(7) Ibidem.

(8)Ibidem.

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_ES_6886.jpgSouches de 14 1996 collection Frac île de France





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_ES_6886.jpgSouche de 14 cristallisée #4 et souche #7. La Petite Escalère





_ES_6886.jpgSouche de 14 cristallisée. 2011





_ES_6886.jpgSouche cristallisée. Domaine de Chaumont





Article de Emmanuelle Jardonnet. Le Monde. Juillet 2020. Les souches noires de Pascal Convert.