2014

Passion

christ

Exposition Passion, Galerie Eric Dupont, Paris - du 15 mars au 25 avril 2014

 

Pour sa nouvelle exposition à la galerie Eric Dupont, Pascal Convert présente deux séries d'oeuvres qui questionnent l'équation mystérieuse entre sacrifice, sacrilège et sacré.

Sacrées en tant que représentations de la figure divine et en tant qu'oeuvres d'art, des sculptures anciennes du Christ, en ronde bosse et d'échelle quasi humaine, ont eu a subir un opération sacrificielle de "christallisation". Olivier Juteau, maître verrier qui réalise les oeuvres en verre de Pascal Convert depuis plusieurs années, a décrit avec précision le rituel permettant cette opération qui produit une transmutation du bois en cristal. Description cruelle d'un processus de destruction, description rigoureuse d'une réinjection du sens.

Trouvez un vieux Christ en bois. Dépoussiérez et brossez la surface du bois. Enlevez les rebouchages douteux effectués lors des restaurations précédentes. Purgez tous les apprêts faits au plâtre. Retirez toutes les parties métalliques en les recherchant en promenant un aimant sur le corps du Christ. Rebouchez à la cire les trous indésirables et au besoin complétez avec de la cire les parties manquantes. Positionnez les jets d'alimentation en cire et les évents en cire. Montez au pinceau une première couche de plâtre réfractaire pour bien prendre tous les détails. Installez l'armature métallique devant contenir la pression du verre liquide. Coffrez l'ensemble et coulez le moule réfractaire autour du Christ. Après 48 heures et après décoffrage, enfournez parfaitement à l'horizontale. Disposez dans le four et au-dessus du moule lesprocédés d'alimentation en verre du Christ. Étuvez le moule à 120°C jusqu'à ce qu'il ne dégage plus de vapeur d'eau. Cuisez jusqu'à 550°C et appréciez visuellement la combustion de l'original en bois. Montez le four progressivement à une température de 880°C. Dès que cette température est atteinte, commencez à alimenter en verre. Arrêtez l'alimentation quand le verre ressort par les évents, attention cela se fait doucement et prend une vingtaine d'heures. Laissez refroidir jusqu'à 580°C et restez-y au moins 48 heures. Faites refroidir extrêmement progressivement sur une durée d'un mois et demi, jusqu'à la température ambiante. Sortez le moule du four et commencez à démouler précautionneusement en respectant la volonté de l'artiste. Consolidez si nécessaire avec de la résine les parties du plâtre réfractaire trop tendres que l'artiste souhaite conserver autour. Réparez les fissures inévitables, rebouchez certains manques si besoin. Brossez la surface de la sculpture. Patinez l'ensemble.

Cette terrible recette décrit ce qui peut ressembler à une "paisible tuerie" (1), mais au sentiment initial d’effroi face à ce geste iconoclaste décisif succède, devant l'œuvre, l'impression de se trouver devant le fantôme persistant d'"une mer de cristal mêlée de feu (2).

L'horreur, l'horreur de la divine pauvre chair humaine martyrisée, apparaît autrement dans la seconde oeuvre présentée. Aux murs, des diptyques en verre bleu gravé s'ouvrent comme des pages de livre géantes sur lesquelles court une étrange écriture manuscrite. Les textes en sont extraits d'un ensemble de huit cahiers écrits en yiddish à l'encre bleue, dans la région de Kielce en Pologne entre 1942 et 1944, et titrés Treblinka. Comme l'écrit l'auteur, rescapé de Treblinka, "les témoignages à apporter sont tellement nombreux qu'il n'est pas possible de les rapporter, même oralement". Ici, quelques fragments malgré tout (3).

Au fond de la galerie, comme un rappel du questionnement de Pascal Convert sur trois images, trois icônes de presse (Pietà du Kosovo, Madone de Bentalha, Mort de Mohamed Al Dura), un visage de femme englouti dans une masse de verre hurle un cri gelé désespérément inaudible…

1 - Georges Bataille dans son article de Documents à propos de l'Apocalypse de Saint-Sever.
2 - L'Apocalypse de Jean, 15, 2.
3 - En écho au titre de Georges Didi-Huberman, Des images malgré tout.


Cristallisation n°1

Pascal Convert,
2013
Verre, plâtre, métal, charbon de bois
135 cm x 90 cm x 25 cm ép.
Maître verrier Olivier Juteau
Vue d'atelier D.R.
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

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Cristallisation n°2

Pascal Convert,
2013
Verre, plâtre, charbon de bois
140 cm x 50 cm x 25 cm ép.
Maître verrier Olivier Juteau
Vue d’atelier D.R
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

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Cristallisation n°3

Pascal Convert,
2014
Verre, plâtre, charbon de bois
96 cm x 40 cm x 25 cm ép.
Maître verrier Olivier Juteau
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

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Reliques

Pascal Convert,
2014
Verre, charbon de bois
Bras droit 56 cm x 10 cm x 9 cm
Bras gauche 56,5 cm x 10 cm x 11 cm
Jambe droite 45 cm x 16,5 cm x 10 cm
Jambe gauche 45 cm x 17 cm x 9 cm
Ensemble 77 x 65 cm
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

reliques

Cristallisation n°4, Fragment de bibliothèque

Pascal Convert,
2013-2014
Verre
21 cm x 250 cm x 11 cm
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

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Treblinka

Pascal Convert
2014
Manuscrit M.Baum 2/200/20000. P 144 et 145
Verre bleu cobalt 8 mm ép.
2 volumes 110 cm x 150 cm
Vue d'atelier
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

treblinka

treblinka

treblinka treblinka 2014 - Manuscrit M.Baum 2/200/20000. P 144 et 145 2014 - Manuscrit M.Baum 2/200/20000. P 144 et 145

Troisième convoi

Traduction du manuscrit
Bernard Vaisbrot
p. 144-145

Page 144
L'hôpital juif qui était concerné par le troisième, pour ainsi dire le dernier convoi, était sur le qui-vive et attendait les ordres de Thomas, concernant ce qu'il fallait faire avec les malades. Bien que tous les malades qui avaient encore la possibilité de marcher soient déjà sortis de l'hôpital, il y restait 88 personnes, incapables de se déplacer. Parmi eux se trouvaient quelques jeunes gens en relativement bonne condition, qui auraient peut-être pu sortir, mais qui n'avaient plus chez qui aller, car leurs familles avaient déjà été déportées dans les deux premiers convois. Nous nous demandions quoi faire, mais Geier et Thomas avaient déjà arrêté leur plan.
Le 23 août à 6 heures du matin, lorsque Thomas et Geier pénétrèrent dans la cour de l'hôpital juif, ils demandèrent à voir le directeur, le Dr Reiter, ainsi que le sous-directeur, le Dr Lewenzon. Ils leur firent savoir qu'à 8 heures du matin, tous les malades devaient être descendus dans la cour, chacun étant allongé sur un lit à part. Il fallait qu'ils soient disposés en ligne, l'un à côté de l'autre. Puis ils repartirent.
Le directeur, le Dr Reiter, réunit aussitôt tous les brancardiers de l'hôpital; ainsi que toutes les infirmières, et on commença à faire descendre les malades. Ceux-ci s'agitaient de terreur, ils ne faisaient que se demander ce qu'on allait faire d'eux. Mais la précipitation dans laquelle le travail de descente se faisait ne laissait guère le temps de tranquilliser tant soit peu les malheureux.
À 7 heures et demie, tout le monde était dans la cour ; tous les médecins juifs, tous les brancardiers et toutes les infirmières se tenaient debout d'un côté de la cour, en attendant que Thomas et Geier reviennent et leur donnent des ordres pour la suite.
À 8 heures, Thomas et Geier sont arrivés, accompagnés de Rampel le tireur. Rampel allait commencer sa besogne, lorsque Thomas lui fit signe d'attendre un peu. Nous les voyions qui restaient debout à discuter, regardant dans la direction de l'hôpital allemand, situé non loin de l'hôpital juif. Il s'avéra qu'il disaient que si on fusillait les malades juifs, cela parviendrait aux oreilles des soldats allemands qui étaient alités dans l'hôpital allemand et, les pauvres, cela risquait de les affoler.
Ils se concertent et se mettent d'accord sur ce qu'ils doivent faire. Thomas convoque aussitôt le directeur, le Dr Reiter, et lui dit : « Maintenant, il est 8 heures. Nous reviendrons à midi, et il faut que tous les malades juifs soient morts. Le médecin se met à trembler et demande par quel moyen il va y parvenir. Geier sort le poignard qu'il porte à sa ceinture

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et le lui montre : « Voilà, par ce moyen tu peux y “parvenir” ». Puis ils s'en vont. Mais avant de partir, ils répètent : « Si nous arrivons à midi et que cela n'est pas exécuté, nous fusillerons tous les médecins juifs ainsi que leurs familles.
Les médecins juifs se retirèrent dans leur cabinet , y tinrent une réunion pour décider ce qu'ils devaient faire. Ils ressortirent aussitôt et ordonnèrent aux brancardiers de faire immédiatement remonter les malades dans l'hôpital. Les malades se réjouissaient que l'on ne leur fasse rien : évidemment; ils n'avaient rien entendu de ce qui s'était dit entre Geier et les médecins.
Ces derniers se mirent aussitôt au travail : ils injectaient à chaque malade un produit capable de les faire mourir immédiatement. Mais on s'aperçut qu'ils n'avaient pas donné une dose suffisante pour que le produit soit efficace, peut-être parce qu'ils n'en disposaient pas en assez grande quantité.
Plus de la moitié des malades étaient encore en vie, la pendule tournait, il allait bientôt être midi. Alors les médecins et tous les brancardiers se jetèrent sur les malades avec des couteaux pour les achever. Les hurlements des malades étaient épouvantables ; ils demandaient en suppliant pourquoi on leur en voulait. Une partie d'entre eux se décidèrent à lutter contre les brancardiers, ne parvenant au mieux qu'à les griffer. Ainsi furent donc exterminées les 88 personnes.
À midi, Rampel est arrivé et a constaté que toutes étaient mortes. Il ordonna alors d'emporter les cadavres à l'endroit où on enterrait les morts. Toute cette affaire fut gardée strictement secrète ; aucune personne étrangère à l'hôpital n'avait eu vent de cet incident qui s'était passé avec les malades.
J'étais assis dans le baraquement, à garder nos paquets, alors que mon frère était dans la cour. Un policier juif se présenta et dit qu'il lui fallait 10 personnes pour aller faire un travail dehors. Personne ne bougeait. Voyant qu'il n'arrivait à rien, le policier juif revint peu après avec un policier allemand, qui fit sortir du baraquement 20 hommes, parmi lesquels je me trouvais. On nous conduisit à cet endroit, appelé « le nouveau Monde », où on enterrait les morts.
Sur place, il y avait déjà plusieurs équipes de travailleurs occupés à creuser des fosses. Nous fûmes conduits jusqu'à une fosse, où nous avons vu disposés des cadavres, recouverts d'une couche de sable bien nivelée. Mais comme elle n'était pas encore pleine, nous avons compris qu'ils voulaient continuer à la remplir.
Un fossoyeur allemand en blouse blanche ordonna à 10 d'entre nous de se joindre à une équipe en train de creuser une fosse, et il a fait sortir de cette équipe...


Image-Mémoire

Pascal Convert
2014
Verre massif
58 cm x 28 cm x 13 cm ép
Modelage Claus Velte, maître verrier Olivier Juteau
Tirage 1/5
Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

Image-Mémoire Image-Mémoire


Dans la presse écrite

Les transmutations de Pascal Convert

Le Monde | 24.03.2014
Par Philippe Dagen

Pascal Convert n'abuse pas des expositions : une tous les deux ou trois ans. Entre-temps, il écrit et réalise des films, qui ont pour point commun l'intense présence de la seconde guerre mondiale et de la Shoah. Ses travaux sont alors ceux d'un historien, auxquels son dernier livre en date, La Constellation du Lion (Seuil, 2013), ajoute une part d'autobiographie.
Ce passé, la mémoire, son présent, il les cristallise en sculptures. Cette part de sa création se fait à un autre rythme, plus lent. C'est celui qui est nécessaire à l'exécution matérielle de projets si singuliers qu'ils exigent inventions et expériences techniques.
Après en avoir fait de même avec la cire, Pascal Convert met depuis près d'une décennie le verre à l'épreuve. Il en fait des vitraux en aux hauts reliefs. Il a sérigraphié des visages sur des miroirs. Il a métamorphosé des souches d'arbre en blocs translucides.
La plupart de ses œuvres récentes se placent dans leur suite, du moins par le procédé créatif. Le verre en fusion est versé par d'étroits canaux dans un moule réfractaire dans lequel est pris un objet.

Etrangetés imprévisibles

Celui-ci est brûlé. Du moule est dégagé le double exact de verre de l'objet qui y avait été enfermé. Si ce n'est que la méthode a ses étrangetés imprévisibles : la combustion peut ne pas être complète, la destruction intégrale.
Dans ce cas, des charbons ou des restes fondus demeurent pris dans la matière, laquelle peut être, selon les cas, transparente ou colorée. Il arrive aussi que la chaleur « rétrécisse » la forme.
Cette méthode singulière de destruction et de résurrection, Convert l'applique à deux sortes d'objets, très différents mais d'une puissance égale.
L'un, ce sont des Christ en bois, devenus des Christ de verre, qu'il a décidé de ne pas dégager de leur gangue durcie. Les tubes de métal par lesquels le verre a coulé sont demeurés aussi, tordus, noircis, réduits à des fils. Sans doute ces sculptures étaient-elles, à l'origine, sans qualités particulières : juste des statues comme il en a été produit des milliers.
La transmutation les change en gisants dont la fragilité effraie, dont la transparence augmente le tragique. L'autre catégorie, ce sont des livres, rangés sur une étagère. Impossible de ne pas penser aux autodafés nazis, à l'incendie de tant de bibliothèques durant les guerres, de celle de Louvain à celle de Sarajevo.
Des débris de reliure demeurent pris dans la matière, comme des insectes dans l'ambre. La force expressive et symbolique de ces volumes est violente. Pascal Convert est de ces artistes, peu nombreux, qui savent inscrire pensées
et émotions dans une forme visible à la fois très simple et juste, d'autant plus juste qu'elle est plus simple.
Le dernier mur de l'exposition porte des diptyques constitués de deux volets de verre bleu. Sur ce verre sont gravées les phrases d'un manuscrit en hébreu, récit d'un survivant du camp de Treblinka jusqu'ici inédit. Aucun adjectif ne conviendrait pour qualifier ce qui est ici écrit.

Galerie Eric Dupont
138, rue du Temple, Paris 3e. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 25 mai.
www.eric-dupont.com