Raymond Aubrac a eu quatre-vingt-seize ans en juillet dernier. Depuis 2007 et le décès de sa femme Lucie, après soixante-sept ans de vie commune, il est seul avec d’innombrables souvenirs. Le film de Claude Berri, Lucie Aubrac, tourné en 1987, avait allumé la lumière de la célébrité sur les « époux Aubrac ». Une vie d’amour, une vie d’engagement commencées dans la Résistance. Raymond Aubrac est un homme discret, il fut un homme de l’ombre. Il a fallu beaucoup de temps à Pascal Convert pour le convaincre de se raconter. Durant trois ans, celui dont le réalisateur disait mardi dans l’Humanité qu’il est « un homme d’action qui n’est jamais ébloui par sa propre action », s’est confié devant la caméra sobre de l’artiste plasticien et documentariste Pascal Convert avec Fabien Beziat. Il a bien fait, la mémoire est vive et précise, l’histoire passionnante. Et s’il fallait ne retenir qu’un message de Raymond Aubrac, ce serait celui qu’il délivrait au micro de France Inter délocalisé à Londres le 18 juin 2010, et qui sert de point départ au film. Il témoigne pour « dire aux jeunes d’avoir confiance en eux et dans l’avenir » et pour les « convaincre que l’avenir c’est eux ».
C’est sans doute ce que se disait Raymond Samuel (pas encore Aubrac) à la veille de la guerre. Né dans une famille de commerçants juifs, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, diplômé d’Harvard, c’est par une rencontre avec des camarades officiers de Polytechnique qu’il fréquente un cercle d’études marxistes. Il y a là Vaillant-Couturier, Gabriel Péri et d’autres. Et c’est à ce moment qu’il rencontre Lucie, jeune agrégée d’histoire et déjà militante à Paris. À ses côtés figurent Joseph Epstein, Jean-Pierre Vernant, futurs résistants. Pour Lucie et Raymond mariés à la fin de l’année 1939, les choses s’enchaînent alors très vite. Et en particulier la lutte contre l’occupant allemand dès 1940. Un an plus tard, c’est Lucie qui fera évader Raymond d’un camp de prisonniers pour se réfugier à Lyon. L’heure est alors à l’unification de la Résistance. Il en sera l’un des principaux artisans au côté de Jean Moulin, qui lui confie la tâche d’entrer en négociation avec l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), fondée par des officiers de Vichy. Aubrac sera arrêté par la police, en mars 1943 (Lucie le sortira à nouveau) avant d’être embarqué cette fois par la Gestapo, le 21 juin 1943. Ce jour-là, il avait rendez-vous au cabinet du docteur Dugoujon à Caluire, avec les principaux dirigeants de la Résistance présents à Lyon, dont Jean Moulin. Il s’évadera de la prison de Montluc en octobre. Toujours avec l’aide de Lucie. Ce sont les années de guerre que raconte ce film. Après la guerre, Raymond Aubrac travailla pour l’administration française à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Maroc à la Yougoslavie, en passant par le Vietnam. Il fut l’ami intime d’Hô Chi Minh. Mais c’est la suite de l’histoire.